From: =?ISO-8859-1?Q?J=E9r=E9my?= JUST Date: Fri, 12 Sep 2003 00:50:46 +0200 On Thu, 11 Sep 2003 04:00:04 +0200 Philippe Lebon wrote: >> Et comme ce week-end, je ne pourrai pas poster, j'ose espérer que >> tout le monde aura oublié, quand je reviendrai dimanche soir... > > Meme pas en rêve. U Bon, bon. Je me résigne à purger ma peine. Et pour vous montrer ma bonne volonté, je vais composer ce long message à genoux (sur un petit coussin, parce qu'il faut quand même pas exagérer). C'est bientôt l'automne, les vaches vont redescendre des alpages. Je vous propose de vous servir du bon lait tiède qu'elles vont vous donner, pour réaliser une merveilleuse TOME DE SAVOIE Tout le monde connaît? C'est cet espèce de gros gâteau gris moche et cylindrique, avec des petites taches moisies de toutes les couleurs. Bon, il est évident que dans les conditions de votre cuisine/cave, vous aurez un peu de mal à maîtriser les populations fongiques. Donc, ce sera plutôt un FROMAGE ALÉATOIRE Cela dit, c'est ludique, et généralement consommable, à défaut d'être vraiment bon (moi, j'ai obtenu une fois une sorte de St Marcelin tout sec et avec un goût de moisi prononcé, et l'autre fois un truc moins beau mais meilleur). Et vous pouvez ne pas l'affiner, auquel cas, c'est de le tome blanche, et c'est délicieux à coup sûr. Mais je brûle les étapes. Matières premières: - du lait de vache, entier. On raconte que ça marche moins bien avec du lait UHT. Je n'ai jamais essayé. Prenez-donc du lait pasteurisé. Ou mieux, du lait tiré d'une vache que vous connaissez personnellement. Vous pouvez essayer avec un litre pour voir. Il faudra en prévoir plus pour les fois suivantes. - de la présure. C'est une sécrétion de l'estomac du veau, de la caillette, plus précisément (la plus petite poche, je crois). Vous pouvez toujours revêtir votre tenue de chasseur (peau de bête sauvage et massue en authentique racine de noyer), partir à la conquête du pâturage du voisin, titiller la luette d'un veau pour le faire vomir et... Mais je doute que les parents (du veau) soient d'accord. Donc je vous suggère de laisser des professionnels utiliser la méthode forte (allez visiter un abattoir pour savoir comment ils font ça), et de simplement vous rendre chez votre pharmacien pour acheter un petit flacon de présure. Ça coûte pas bien cher. - du sel. C'est cette espèce de poudre cristallisée qu'on trouve dans ces petits conteneurs à couvercle percé, les salières. Attention, ne vous faites pas refiler du sucre à la place. Pour faire la différence, remplissez-en une cuiller à soupe, introduisez dans la bouche en vous bouchant le nez. Si c'est doux et chaud sur la langue, c'est pas du sel. Jetez. Si vous faites la grimace, crachez partout et manquez mourir, c'est bon, c'est ce qu'il vous faut. Gargarisez-vous avec quelques verres d'eau douce pour rincer avant de passer à l'étape d'après. Voilà, vous avez à peu près tout. S'il manque des choses, c'est pas grave, je vous en parlerai en cours de route. Vous avez bien un petit épicier pas loin de chez vous pour vous dépanner. * Première étape: faire cailler le lait. Pas dur: c'est la présure qui fait tout le boulot. Si le lait sort tout droit de la vache, c'est bon, il est à la bonne température (39°C). Sinon, faites chauffer le lait tout doucement pour l'amener aux alentours de 37-40°C. Comment savoir si c'est la bonne température? Trempez la main dedans. Si vous vous dites "Hum, je prendrais bien un bain dans ce chaud liquide couleur de neige", c'est parfait. À ce stade de la recette, je décide sur un coup de tête d'insérer une citation destinée aux cinéphiles avertis. Le premier qui trouve d'où elle vient aura le droit de manger de la gelée de groseilles avec sa tome blanche. "Faites attention, c'est très très tiède." Quand le lait est tiède, ajoutez-y de la présure. De mémoire, il suffit de quelques gouttes; quelque chose comme trois gouttes par litre. Mais ne me faites pas confiance aveuglément, et lisez plutôt la page de man qui vous a été fournie avec la présure. Remuez-bien, sans attendre. La présure est un peu visqueuse et doit être mélangée par un mouvement de rotation rapide mais régulier, sous peine d'inefficacité. Ne mettez pas trop de présure: ça donne un goût un peu âcre. Une fois ces délicates opérations effectuées, vous disposez d'un peu de temps pour regarder si vous avez du courrier, voire faire un brin de ménage dans votre chambre. En gros vous avez 30-60 minutes devant vous, si vous ne vous êtes pas trompé dans la dose de présure. Le lait doit prendre en masse. En laiterie, la détermination du moment idéal pour procéder à la suite des manoeuvres et une affaire très sérieuse, qui se joue à quelques secondes près, et demande obligatoirement un contrôle humain (les machines savent pas faire, donc un type remonte ses manches sur ses bras poilus et va palper la consistance du caillé). Mais pour vous, jeune amateur, ça n'a pas beaucoup d'importance, et l'instant fatidique sera arbitrairement désigné selon votre bon vouloir. * Seconde étape: briser le caillé C'est une étape à la fois très simple et très importante. Vous allez devoir vous munir d'un instrument allongé, à nombreux bras. Si vous avez un râteau à feuilles pour votre jardin, c'est une bonne piste, mais pour l'hygiène, c'est pas top. Si vous avez un bête fouet de pâtisserie, ce sera parfait. Sinon, fourchette, ou à la limite cuiller, mais ce sera plus long. Les droitiers devront caler le manche du fouet dans la paume de leur main droite, refermer les doigts autour, et serrer fermement, mais sans forcer. Les gauchers feront l'opération exactement symétrique. Vous devez vous retrouver dans la position suivante: deux pieds à terre, fouet dans une main, avec les bras prêts à brasser le contenu de votre marmite, sourire béat aux lèvres. La main libre attrape la marmite, le fouet descend impitoyablement dans le caillé. Et là, vous tournez, jusqu'à ce que les grumeaux fassent autour de deux millimètres de diamètre. C'est fait? Bon, étape suivante: * Troisième étape: égoutter le caillé Pour égoutter le caillé, je vous suggère de récupérer la faisselle d'un fromage blanc. Vous pouvez aussi utiliser une passoire à petits trous et non-métallique (même l'inox fait des choses bizarres). Si les trous sont trop larges, mettez-y de la gaze. D'ailleurs, vous pouvez en mettre quelle que soit la taille des trous, ça facilitera la manipulation. Versez donc délicatement le mélange caillé+lactosérum dans votre panier percé; si tout ne rentre pas du premier coup, laissez le caillé s'égoutter un peu avant de continuer. Ne vous étonnez pas qu'il ne vous reste plus grand chose. C'est normal (pour info, un camembert, c'est un truc comme 12 litres de lait [je me trompe peut-être de cinq litres, mais l'ordre d'idée y est]). Laissez votre production s'égoutter pendant la nuit. * Quatrième étape: première occasion de passer à table Vous pouvez laisser votre future tome s'égoutter jusqu'à avoir la consistance du fromage blanc, et décider de la manger à ce stade, comme un fromage blanc. Je trouve ça délicieux, avec du sucre, du miel ou de la confiture... Vous pouvez aussi la laisser un peu plus sécher, jusqu'à ce qu'il ne soit plus déraisonnable de la couper en tranches. Dans ce cas, vous pouvez la manger comme fromage ou comme dessert, avec du sel, du sucre, de la gelée de groseilles... C'est très bon aussi. En fait, pour être tout à fait honnête, je vous conseille de vous arrêter ici si votre but était d'avoir quelque chose de bon à manger. La suite est là à titre purement ludique, pour ceux qui voudraient essayer de réaliser un fromage. * Cinquième étape: le démoulage et l'affinage Je vous laisse le soin de démouler soigneusement votre tome. Vous le ferez bien mieux que moi ('faut dire que la RFC "Definition of a network protocole to demoolate French cheeses" est pas encore publiée). Salez. Pour ça, plusieurs méthodes: frottez la surface du fromage avec un peu de sel. Trempez dans l'eau salée (quand ça commence à sécher un peu)... Vous devrez saler plusieurs fois pendant l'affinage, parce que le sel ne diffuse que lentement dans la pâte. Affinez. Ben, pour ça, pas de mystère: laissez le fromage reposer dans un endroit frais et assez sec. Et retournez-le régulièrement (tous les jours au début). Vous pouvez essayer d'inoculer les bonnes moisissures sur la croûte. Celles du camembert se développement comme des charmes sur tous les produits laitiers, ça ne devrait donc pas être trop dur. Celles de la tome doivent être un peu récalcitrantes, parce qu'elles sont de plusieurs espèces, et qu'il y a en plus des acariens dans l'affaire. Enfin, bon, soyez imaginatif, et votre fromage vous le rendra. Il est plus facile d'affiner un fromage assez gros. Avec un litre de lait, votre fromage aura la taille d'un St Marcelin, et il séchera plus vite qu'il ne mûrira. * Sixième étape: dégustez Achetez une baguette de bon pain. Non, deux, plutôt. Ce sera toujours ça à manger si le fromage n'est même pas bon pour le chien. Munissez-vous d'un couteau à lame fine et aiguisée. Suivant l'aspect de votre fromage, vous choisirez plutôt un Opinel (pour la tome, ça s'impose) ou plutôt un Laguiole. Coupez un secteur de fromage. Regardez l'intérieur. S'il est clair et a une odeur saine, goûtez (en retirant peut-être la croûte, si elle a mal tourné). Faites rouler les petits morceaux sur la langue. Aspirer un peu d'air pour sentir les arômes se diffuser. Appréciez sa texture, son bouquet. Hochez la tête d'un air entendu. Déglutissez. Et au choix, jetez le reste, ou coupez-en une nouvelle part. Alors? Il est pas chouette, mon FROMAGE ALÉATOIRE? EXECUTIVE SUMMARY: - Faites chauffer le lait vers 37°C - Ajoutez de la présure - Laissez reposer une heure - Brisez le caillé - Versez dans une faisselle - Laissez égoutter une nuit - Consommez ou - Attendez que ce soit suffisamment sec pour démouler - Affinez -- Jérémy JUST